Spotify change encore la donne


En quelques courtes années, Spotify est passé du rôle de bête noire des plus grands noms de la musique à celui de bienfaiteur. La société suédoise a transformé la façon d’écouter la musique. Elle a habitué le public à payer, après les ravages infligés par les pirates aux ventes de disques. Les revenus mondiaux de la musique en streaming (secteur que Spotify domine avec ses 70 millions d’abonnés) ont plus que triplé en trois ans, pour atteindre 10,8 milliards de dollars l’an dernier (estimation). Pour la première fois, les recettes de la musique en ligne par abonnement dépassent les ventes de fichiers musicaux numériques et de disques physiques. “Pour la première fois, les recettes de la musique en ligne par abonnement dépassent les ventes de fichiers musicaux numériques et de disques physiques” Mais tout en gagnant des milliards pour les autres, Spotify perd de l’argent, avec une perte d’exploitation de 400 millions de dollars pour 2016 puisqu’il reverse presque 70 % de ses revenus, en royalties principalement. Spotify se prépare à une entrée en bourse à Wall Street et doit convaincre ses futurs actionnaires qu’il sera un jour profitable. Pour certains, il le pourra, mais uniquement aux dépens des labels qu’il a enrichis : en leur versant moins de royalties ; en les contraignant (eux et d’autres) à payer pour la promotion de leurs artistes et pour les données ; voire même en entrant en concurrence frontale et en signant directement des contrats avec les artistes. En d’autres termes, Spotify pourrait ne gagner d’argent que s’il révolutionne à nouveau le secteur. L’économie de la musique enregistrée a déjà muté deux fois dans l’ère Internet, avant que la musique en streaming n’arrive : avec les sites illégaux de partage de fichiers, comme Napster, puis la plateforme iTunes d’Apple, qui a sonné la fin de l’album en vendant les morceaux à l’unité. Les ventes de musique enregistrée en Amérique ont été divisées par deux, de leur apogée de 14,6 milliards en 1999 aux abysses de 2014 : 6,7 milliards. Spotify a lancé son application de musique en streaming en 2008. Elle ne représentait qu’une source de revenus infimes, et les artistes la détestaient. Ils pensaient qu’ils ne pourraient jamais gagner d’argent avec la fraction de centime versée par morceau de musique diffusé en streaming. Daniel Ek, le fondateur de Spotify, annonçait depuis longtemps que les bienfaits du streaming se manifesteraient quand ce mode de diffusion atteindrait la taille nécessaire. Ce qui commence à se vérifier. Les abonnés de Spotify paient 10 dollars par mois (et 70 autres millions d’utilisateurs utilisent son site gratuit, financé par la publicité). Apple Music compte 30 millions d’abonnés. D’autres plateformes identiques rassemblent au moins 70 autres millions de clients, selon le cabinet de consultant spécialisé MIDiA Research. Les titres des chanteurs les plus populaires dépassent maintenant très régulièrement le milliard d’écoutes en streaming sur ces services par abonnement. ‘Shape of You’, le tube d’Ed Sheeran, est dans les Top Tracks de 2017 sur Spotify avec, début décembre, 1,4 milliard d’écoutes. Un score d’un milliard d’écoutes sur les services payants en streaming ramène en général 7 millions de dollars aux grands labels de disques, dont 1 million va probablement aux interprètes. Une autre partie des revenus va aux compositeurs et aux paroliers. Spotify, qui creuse constamment son avance sur ses concurrents, est devenu le diffuseur le plus important. Le cabinet d’études Redburn estime que Spotify a représenté 17 % des 5 milliards de dollars encaissés par les labels durant le premier trimestre 2017, et ce pourcentage ne cesse d’augmenter. Il détient là un pouvoir qui pourrait lui permettre de transformer ses pertes en gains. Le point fort le plus évident de Spotify est d’être un faiseur de stars, grâce à ses playlists et ses algorithmes de recommandation. C’est un peu ce que faisaient les DJ des radios autrefois en matraquant des tubes sur les ondes. Spotify possède plus de deux milliards de playlists ; la majorité est composée par ses utilisateurs, mais les playlists de titres recommandés par Spotify attirent des millions de personnes. Toujours selon Redburn, jusqu’à 20 % des écoutes se font via l’une des playlists proposées par Spotify. Awal, un label indépendant géré par le prestataire de services musicaux Kobalt, dit qu’être cité dans une playlist de Spotify peut faire bondir les écoutes d’une chanson de 50 voire 100 %. Spotify devra être prudent en monétisant son influence : il risque d’être soupçonné de vendre l’insertion d’une chanson dans une de ses playlists. Mais l’an dernier, il a commencé à tester les “morceaux sponsorisés” sur sa plateforme gratuite, sans abonnement.


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